Mizuko Kuyo
Mizuko Kuyo

Mizuko Kuyo

rite funéraire japonais à la mémoire des fœtus

S’il est un tabou commun à toutes les cultures humaines et à toutes les époques, c’est bien celui de la mort du tout-petit enfant qui occupe la place la plus importante. En effet, l’ensemble des civilisations considère la mort d’un nouveau-né comme hautement néfaste pour sa famille en raison de la rupture symbolique qu’elle entraîne pour l’ensemble de la communauté. Si l’invention chrétienne du Limbe des enfants permettait aux parents de pouvoir supporter le décès de leur progéniture, d’autres rituels ont été élaborés par d’autres civilisations pour les mêmes raisons. C’est le cas – parmi les autres – de la civilisation japonaise et d’une curieuse pratique cultuelle appelée « cérémonie à la mémoire des fœtus » (mizuko kuyō).

Réservé aux morts nés et aux fœtus dont la mort résulte d’une fausse-couche ou d’un avortement, ce rite répond à une triple nécessité : assurer la paix de l’enfant, éviter sa vengeance et permettre aux parents d’en faire leur deuil. L’expression mizuko kuyō est formée de deux mots : mizuko qui peut se traduire par l’expression française « enfant de l’eau », terme réservé dans la culture japonaise aux fœtus sans vie, et par le mot kuyō qui – dans son acception moderne – désigne les cérémonies funéraires. L’origine de ce culte remonte à l’époque d’Edo (1600-1868) où il était pratiqué dans un contexte d’offrandes à Kshitigarbha ou Jizo, un des huit bodhisattvas (Buddha qui n’a pas encore atteint l’éveil), mais aussi par des femmes contraintes à avorter ou à tuer leur nourrisson à cause de la pauvreté, la famine etc.

Originaire de Corée, le culte de Kshitigarbha fut introduit au Japon au 6e siècle et popularisé à l’époque féodale (12e-16e siècles) par la légende d’un Limbe des enfants, spécialement conçu pour les tout-petits défunts : ce lieu, que les Japonais nomment Sainokowara, est une plage de sable fin sur laquelle les âmes des petits défunts séjournent dans l’Au-delà. Véritable divinité protectrice des enfants, Jizo est souvent représenté dans l’art bouddhique du Japon entouré d’enfants dans les attitudes et les postures les plus diverses : blottis dans les bras de la divinité ou se tenant à leur bâton.

La « cérémonie à la mémoire des fœtus » peut prendre diverses formes, plus ou moins complexes en raison des sommes investies. Dans son aspect le plus épuré, il s’agit d’un tombeau érigé en honneur de Jizo, au bord de la route et dont l’entretien est assuré par un groupe de femmes. S’agissant d’une cérémonie que chaque femme ayant perdu un nouveau-né peut effectuer dans la sphère privée, il n’y a pas de règles établies quant à l’organisation du rite. Aussi, il est possible d’acheter une statue de Jizo et de la placer sur l’autel (butsudan) dont l’entretien est assuré par les membres de la parenté, ou encore de réciter le sutra du cœur, l’un des textes bouddhiques les plus célèbres.

Certaines femmes décident de faire édifier une statue de Jizo dans un temple où elles reviennent fréquemment pour la commémorer. En dépit des variantes locales, le rituel respecte les mêmes étapes : avant le début de la cérémonie, les femmes se rendent avec leur famille pour enregistrer leur tour et payer le service religieux. La majorité se rendent dans la pièce du temple consacrée à Jizo et allument de l’encens avant de s’asseoir. La cérémonie commence lorsque retentit le premier son de cloche. Six moines bouddhistes entrent alors dans la pièce et récitent le sutra du cœur pendant environ trois quarts d’heure. Ensuite, c’est au tour des familles de réciter la prière suivante avec les moines :

« Je fus invité(e) dans la vie de Père et de Mère,

J’ai vécu dans l’utérus de Mère durant des jours et des mois,

Pendant ce temps où je continuais de grandir,

Je demandai la gentillesse de mes parents,

J’ai désobéi à leur gentillesse,

Aussi, j’ai été arraché (e) par la sage-femme et mon corps a été perdu.

Père aide moi. Mère aide moi aussi.

Aidez- moi à me donner une âme dont le pouvoir est limité et la voix ne peut parler.

Pour ne pas devenir une âme perdue dans les ténèbres ».

La cérémonie prend fin avec le sermon prononcé par l’abbé du temple qui rappelle l’importance des prières en l’honneur des morts, en particulier des jeunes défunts. Au cours du mizuko kuyō, les statues de Jizo – revêtues d’habits rouge et coiffées de chapeaux de la même couleur – sont exposées dans la cour du temple.

Bérangère Soustre de Condat-Rabourdin

Source : e-veilleur

 
 

2 commentaires

  1. Ping :Mizuko Kuyo : rite funéraire japonais &a...

  2. bonjour,

    votre article est très intéressant.
    Je me demandais si vous aviez la référence du texte que vous citez:
    « Je fus invité(e) dans la vie de Père et de Mère,
    J’ai vécu dans l’utérus de Mère durant des jours et des mois,
    Pendant ce temps où je continuais de grandir,
    … »
    Ayant moi même vécu 4 fausses couches avant d’avoir ma fille, ce texte me touche.

    Cordialement,

    Mathilde

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